Rétrospective Jean-Pierre Limosin à La Cinémathèque française - Le Japon à Paris

Rétrospective Jean-Pierre Limosin à La Cinémathèque française

Du jeudi 7 au samedi 16 avril 2022

Le cinéma du réalisateur Jean-Pierre Limosin n’aime pas se répéter : ses films ont trop la passion du jeu et le sens du zigzag pour obéir à des lois. Qu’il explore le Japon ou l’Iran, qu’il suive des personnages en fuite, Limosin reste un auteur à part dans le cinéma français.

Programme

Films :

  • Abbas Kiarostami, vérités et songes
  • Alain Cavalier, 7 chapitres, 5 jours, 2 pièces-cuisine
  • L’Autre nuit
  • Carmen
  • Faux-fuyants par Alain Bergala et Jean-Pierre Limosin
  • Gardien de la nuit
  • Le Home cinéma des frères Dardenne
  • Kiyoshi Kurosawa, au dos des images par Alain Bergala et Jean-Pierre Limosin
  • Novo
  • Takeshi Kitano, l’imprévisible
  • Tokyo Eyes
  • Un siècle d’écrivains : Thomas Bernhard
  • Young Yakuza

Rencontre/conférence : Jean-Pierre Limosin par Jean-Pierre Limosin. Leçon de cinéma animée par Bernard Benoliel et Clément Rauger le dimanche 10 avril à 14:00.

Faux-fuyants, Gardien de la nuit et Tokyo Eyes ressortent en salles en version restaurée le 13 avril 2022, à Paris à la Filmothèque du Quartier latin et au Grand Action.

Jean-Pierre Limosin

Il y a des signes qui ne trouvent leur sens qu’a posteriori. Il aurait fallu se méfier, un cinéaste ne choisit pas impunément de baptiser son premier film Faux-fuyants. C’était en 1982, et Jean-Pierre Limosin faisait alors son apparition sur la scène du cinéma en tandem avec Alain Bergala. Quarante ans plus tard, on pourra dire que Limosin n’a rien fait pour atténuer cette impression de fuite en avant savamment orchestrée, de déplacement stratégique, la sensation qu’il donne d’avoir toujours réussi à échapper aux étiquettes, aux groupes, aux clans et à la moindre doxa. Mais à la place, quoi ? Une solitude rieuse. À tout, Limosin préfère jouer.

Aussi, le résumer en quelques paragraphes n’est pas simple. Si son cinéma dessine des connexions (André S. Labarthe, Alain Bergala, Clément Rosset (philosophe de l’idiotie), Rachel Rachel (la géniale chanteuse des Tokow Boys), sans oublier ses scénaristes, Pascale Ferran, Christophe Honoré ou les regrettés Philippe Arnaud et Emmanuèle Bernheim, s’il a marqué à plusieurs reprises sa révérence devant quelques grandes figures (Thomas Bernhard, Abbas Kiarostami, les Dardenne, Alain Cavalier, Takeshi Kitano), jamais il n’a voulu se ranger sous la bannière d’une école.

Drôle de portraitiste, Limosin : très fort pour déceler une trace d’intelligence, un trait d’ironie, pouvant s’arrêter sur un détail (un visage sur une pièce de monnaie, par exemple) parce que cette chose lui semble excéder tout à coup l’époque, et lui offrir un nouveau point de fuite. Ses films vont s’en servir, bien sûr, mais jamais sous la forme de la leçon bien apprise, merci papa, merci maman, mais au contraire comme des leçons de beauté sans morale, des figures libres, libres de se surprendre : Limosin s’efforce de ne jamais se répéter. Il fait peut-être même des films pour voir s’il pourra réussir à sortir du piège qui les sous-tend. Les rares fois où ce piège s’est refermé sur lui (l’échec de L’Autre nuit, en 1988, qui le tiendra éloigné du cinéma pour dix ans), il l’a payé très cher.

Bien sûr, il y a une figure centrale, entêtante, qui traverse sa filmographie : d’un coté, un homme qui roule, et de l’autre, une femme qui le suit, en cachette. Please Follow Me, avait écrit un jour de 1983 Jean Baudrillard en préface d’un livre de photos de Sophie Calle édité aux Cahiers (où Limosin écrivait sur la photo), dans lequel l’artiste suivait à la façon d’un détective privé un homme dans Venise. La même Sophie Calle joue justement la détective privée, bien maladroite, toujours à deux doigts de la démission, dans Faux-fuyants : « Après tout, je m’en fous, je quitte l’agence demain. Dites moi juste une chose, que je ne répèterai pas. Que faites-vous quand vous disparaissez ? Sinon, je peux récupérer l’appareil photo, c’est le mien ? »

Que font les personnages de Jean-Pierre Limosin quand ils disparaissent ? Le héros de Faux-fuyants tisse un piège dans lequel il a toutes les chances de se faire prendre lui-même. On ne peut pas tellement dire qu’il fuit. Il lui est arrivé de prendre lâchement la fuite, oui, mais ce qu’il fait depuis, c’est une tentative d’avouer sa faute en dessinant en pointillés un système de relations complètement dingue. Et le jeune Tokyoïte supposé dangereux qui erre dans Shibuya, tout au long de Tokyo Eyes ? Il joue au chat et à la souris avec la petite sœur d’un commissaire trop adulte, trop pris dans son propre système, pour pouvoir l’attraper. Il ne sait pas, le pauvre commissaire, épuisé de ne rien trouver, que seule la jeunesse, celle qui prend le monde de vitesse, celle qui se fait livrer une rave à la maison comme on se fait livrer une pizza chaude, pourra entrer dans la marche du garçon, jouer avec lui ou se jouer de lui. Et le garçon de Novo, à quoi joue-t-il ? Lui, le temps lui file entre les doigts. Il a une maladie, celle de la mémoire neuve. Il ne se souvient plus très bien. Chaque fois est comme une première fois. C’est magique en amour, mais c’est douloureux aussi. Alors une femme le suit, puis deux, et là ça devient un peu trop compliqué pour aussi peu de mémoire.

Et le Young Yakuza ? Lui est dans une équation plus complexe. Concrètement, il ne peut pas fuir. Sa mère l’a fait enrôler parce qu’il est le genre de gamin bon à rien, le type même du gosse de Tokyo qui ne pense qu’au hip hop. Les mafias japonaises sont des écoles de bonnes manières et on peut regretter, tel ce chef de gang purement extraordinaire dans sa logique, qu’il n’y ait plus de place dans la société pour des garçons qui se seraient coupé un doigt autrefois afin d’appartenir à un ordre yakuza. Sans parler des patrons de saunas, ces hypocrites, qui les refusent à cause de leurs tatouages trop voyants. L’extraordinaire du film, c’est la banalité même du statut du yakuza aujourd’hui, maintenant que tout le monde les imite et joue au gangster. Grandeur et décadence des petites et moyennes entreprises du Mal. Fuir dans la prison ou fuir dans la banalité ? Deux voies possibles.

Que devine-t-on là ? Que pour Jean-Pierre Limosin, la fuite est toujours une affaire de jeu. Qu’il n’y a pas de cinéma sans un ailleurs à essayer. Il a tourné d’abord en province (notamment à Montluçon pour Gardien de la nuit), un exploit dans le cinéma d’auteur français des années 1980, et depuis, symboliquement, son cinéma a visité le Japon (trois fois : Tokyo Eyes, Young Yakuza, et le Cinéma, de notre temps sur Kitano), l’Iran, et même l’Autriche (d’abord via les archives sur Thomas Bernhard, pour un documentaire génial, puis avec un court film sur Peter Tscherkassky au travail). Autant de façons de se proclamer introuvable. Autant d’invitations à le suivre.

On devine à le voir déambuler dans Tokyo quelque chose d’une vérité sur lui. En 1998, pour toute une jeunesse qui rêvait de techno et de futur, Tokyo était la promesse d’un monde où tout devenait ludique, où les costumes, les fonctions, la vie même pouvaient devenir un avatar, une infinie possibilité de jeu. C’est cela dont il s’est saisi. Ses films au Japon n’ont jamais la révérence guindée des films que viennent y tourner les Occidentaux. Ils ont au contraire quelque chose de très quotidien : ça n’est pas un Japon plus grand que nous, mais un terrain de jeu qui ne révèle son extase au spectateur qu’au moment où ce dernier réalise en cours de film qu’il a, sans le savoir, largué toute amarre avec l’Occident.

Site web : https://www.cinematheque.fr/cycle/jean-pierre-limosin-633.html

Adresse(s) : 51 rue de Bercy, 75012 Paris (La Cinémathèque française)

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