Rétrospective Shohei Imamura à la Cinémathèque française - Le Japon à Paris

Rétrospective Shohei Imamura à la Cinémathèque française

Du mercredi 6 avril au samedi 7 mai 2022

Enfant terrible des studios Nikkatsu devenu le respectable cinéaste doublement palmé au festival de Cannes, le réalisateur Shohei Imamura s’est fait le peintre des désirs archaïques du Japon d’après-guerre.

Programme

Films (longs métrages) :

  • L’Anguille
  • La Ballade de Narayama
  • Ces dames qui vont au loin
  • Cochons et cuirassés
  • De l’eau tiède sous un pont rouge
  • Désir inassouvi
  • Désir meurtrier
  • Désirs volés
  • Dr Akagi
  • Eijanaika
  • L’Évaporation de l’homme
  • La Femme insecte
  • Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar
  • Mon deuxième frère
  • Pluie noire
  • Le Pornographe : Introduction à l’anthropologie
  • Profond désir des dieux
  • La Vengeance est à moi
  • Zegen, le seigneur des bordels

Courts métrages :

  • La Brute revient au pays natal
  • Devant la gare de Ginza
  • En suivant ces soldats qui ne sont pas revenus : La Malaisie
  • En suivant ces soldats qui ne sont pas revenus : La Thaïlande
  • Les Pirates de Bubuan
  • September 11 : Japon

Conférence : « Shohei Imamura, la révolte de la chair », par Stéphane du Mesnildot le jeudi 21 avril à 19:30

Shohei Imamura

Lorsqu’il était encore l’assistant de son maître Yuzo Kawashima (1918-1963), Imamura a trouvé ce besoin d’observer son pays afin de comprendre les mécanismes primitifs qui le régissent. Ce regard anthropologique, le jeune homme de bonne famille (fils de médecin) le démontre dès son premier travail. Le plan d’introduction de Désirs volés (1958) est une vue aérienne de la ville d’Osaka, suivi par celui d’une foule s’entassant à l’intérieur d’un petit théâtre itinérant. Dans ce cadre forain, le kabuki en représentation est celui des classes populaires ; tout le cérémoniel est évacué pour laisser davantage de place au numéro de striptease en première partie. D’ailleurs, le public ne manquera pas de quitter la salle aussitôt l’effeuillage terminé !

Pour le long métrage suivant, Désirs inassouvis (1958), d’anciens militaires reviennent récupérer un stock de morphine abandonné pendant la guerre en creusant un tunnel sous un quartier promis à la démolition. L’appât du gain va s’accompagner d’un inéluctable jeu de massacre. Sujets d’expérience devant la caméra, les acteurs sont animalisés à outrance dans les scènes de repas où ils mastiquent bruyamment et éructent des injures la bouche pleine, au mépris des règles élémentaires de bienséance.

Imamura continue d’analyser la bestialité de ses contemporains avec Cochons et cuirassés (1961), que la France découvrira deux ans plus tard sous le titre de Filles et gangsters, le distributeur n’ayant pas manqué de lui accoler un doublage français involontairement décalé. La ville portuaire de Yokosuka et sa base navale américaine : des GI en permission et des prostituées s’y côtoient dans le quartier rouge. Outre les trafics en tout genre, c’est l’élevage de porcs qui représente une manne financière importante pour les jeunes yakuzas pressés de s’enrichir. Vendant leurs sœurs aux Américains, les voyous récupèrent en contrepartie les déchets des soldats (cigarettes, conserves et autres produits).

Tableau sans concession d’un Japon vaincu militairement et moralement, le devenir-bétail de ses personnages dépassera le stade de la parabole lorsque les gangsters retrouveront, dans leur assiette, la dent en or du membre d’un gang adverse précédemment dévoré par les gorets. Le rythme syncopé nous entraîne dans les plus étroites ruelles d’une ville prenant l’apparence d’un immense tube digestif où chaque élément est avalé, dégorgé, déféqué, pour inlassablement ressurgir. Alors que le pays est secoué par les manifestation estudiantines contestant la reconduction du Traité de sécurité nippo-américain, Imamura scelle ce pacte contre-nature entre les deux puissances en libérant son armée de porcs déchaînés sur le quartier des plaisirs.

Conservant un goût certain pour la provocation, le metteur en scène adopte les thèmes de société les plus tabous (viol, prostitution) et analyse ses contemporains comme des matières vivantes. Entamant sa trilogie du désir, en 1964, avec La Femme insecte puis Désir meurtrier, il clôt son triptyque par l’adaptation du scandaleux roman d’Akiyuki Nosaka exposant la vie d’un réalisateur de films X clandestin. À la fin du Pornographe, le personnage principal, machine désirante et délirante frappée d’impuissance, se laissera dériver vers un fétichisme postmoderne qui anticipe curieusement les délires otaku des années à venir.

Au crépuscule des années 1960, Imamura se cherche. Après L’Évaporation de l’homme (1967) qui questionnait les limites de la recherche d’une vérité objective, l’échec de Profond désir des dieux (1968) le fera basculer du côté du documentaire avec, tout d’abord, Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar (1970). Le sujet, filmé derrière son comptoir, au mépris de l’universalité du grand récit historique, va commenter les images d’archives proposées dans le désordre et sans contextualisation. À la suite de cet exercice, le déçu de la fiction passera la plus grosse partie des années 1970 à tourner des documentaires pour une chaîne de télévision privée, la plupart prenant place en Asie du Sud-Est.

Le succès mérité de La Vengeance est à moi (1979) ayant reconcilié Imamura avec l’industrie, le budget d’Eijainaka (1981) fut malheureusement trop élevé pour que le film soit rentable. Curieusement, ce retour aux cultes primitifs boudé par le public dans Profond désir des dieux se verra plébiscité quinze ans plus tard, au moment de la consécration de La Ballade de Narayama lors du Festival de Cannes 1983. L’ancien poil à gratter des studios devient désormais le digne représentant du cinéma japonais aux yeux du public international, qui attend fébrilement son prochain chef-d’œuvre.

Comme le héros de Zegen, le seigneur des bordels (1987), son film suivant, Imamura semble se confondre avec le destin de sa nation. Dans ses documentaires pour la télévision, il avait parfois essayé de retrouver ses compatriotes expatriés, vétérans de la guerre du Pacifique ou anciennes femmes de réconfort, afin de reconstituer le Japon imaginaire des exilés. Le personnage de Zegen, tenté par une utopie aussi ambitieuse qu’absurde, essaie de coordonner son admiration envers l’Empereur à l’énergie de ses pulsions ; l’objectif sur le long terme étant de repeupler son archipel natal en faisant proliférer les maisons closes à Hong Kong et en Malaisie. La puissance sexuelle devient une puissance politique.

Le petit aquarium d’Imamura est composé de spécimens mus par une seule obsession irraisonnée. Dans L’Anguille (1998), le poisson du même nom recueilli en prison par Koji Yakusho peut se voir comme la survivance de la carpe, comme possible réincarnation du mari défunt dans Le Pornographe. Ayant consciencieusement ausculté la nature primitive d’un Japon en quête d’identité, l’œuvre imamurienne a beaucoup évolué sur le plan formel tout en obéissant à un seul et même élan spirituel.

Site web : https://www.cinematheque.fr/cycle/shohei-imamura-632.html

Adresse(s) : 51 rue de Bercy, 75012 Paris (La Cinémathèque française)

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